L'avenir de l'agriculture
par Tom Manley, traduit par Manon Gaudreau
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J'ai eu le plaisir de me joindre aux 7,000 fermiers à Queen's Park mercredi le 2 mars 2005. Le trajet de 5 heures en autobus, aller et retour, était une belle opportunité pour comprendre les multiples facettes de la crise en agriculture contemporaine en Ontario et au Canada.
D'un côté, on réclame fortement des actions immédiates pour résoudre la crise actuelle: du support financier direct comparable au Québec, aux USA et à l'Europe, des délais ou une réduction du fardeau réglementaire, le retrait des embargos sur les échanges. Les gens comprennent clairement les problèmes et les solutions à court terme, tel que démontré par la propagande écrite, la rhétorique des intervenants, les acclamations de la foule, et les discussions dans l'autobus.
Il y a eu aussi de bons discours au sujet des solutions à long terme : un appui versus une subvention, l'avenir de l'agriculture, le développement durable, les changements systémiques, les priorités alimentaires pour notre survie et qualité de vie, nourrir les canadiens en premier, le besoin de relier le cultivateur au consommateur, etc... Malheureusement, les participants étaient généralement à court de solutions spécifiques pour le long terme. On répondait souvent à une question sur la direction à long terme par l'usuel pansement à court terme.
J'ai bien peur que les fermiers ne saisissent pas le dilemme à long terme ou bien qu'ils refusent d'imaginer les transformations requises pour assurer la durabilité de l'agriculture. Ceci est compréhensible car le changement systémique du paradigme agricole actuel est inconfortable.
Comprenons d'abord que la présente crise du revenu des producteurs agricoles n'est pas soudainement apparue suite à la fermeture de la frontière ou à un surplus des récoltes ou à une disparité de subventions. La tendance est évidente depuis plusieurs décennies. La mécanisation, les hautes demandes en énergie, la globalisation et la consolidation ont grugés les marges de profit. Les politiques du commerce à l'étranger n'ont qu'amplifié le problème.
Étant donné le statut électoral actuel du Parti Vert, je laisse le débat du court terme au gouvernement actuel. Je me concentre plutôt sur une vision de l'agriculture dans 10 ans, celle qu'un gouvernement formé du Parti Vert pourrait mettre en oeuvre.
Au premier plan, le monde a une réserve limitée de combustible fossile et nous serons à court d'énergie à bon marché. Le coût grimpant de l'énergie rendra le transport à longue distance et les fertilisants fossiles inabordables et non compétitifs comparativement à une agriculture biologique à intrants réduits. Les commodités étrangères bon marché ne pourront pas se permettre le coût élevé du transport nécessaire pour inonder le marché canadien. Les fermes américaines qui reçoivent des subventions seront victimes des compressions imposées par la lourde dette des USA.
Les fermiers s'affranchiront de la globalisation et du commerce des imports-exports. Nous nourrirons principalement les canadiens avec un apport riche et varié pour satisfaire notre diversité culinaire et culturelle. Les économies locales seront florissantes. Les fermiers éliminerons les intermédiaires et re-connecteront avec les consommateurs par des comptoirs de vente sur la ferme, des marchés publics et la livraison à domicile. Suite à la miniaturisation, la transformation agro-alimentaire à la ferme deviendra la norme.
La moyenne d'âge des fermiers rajeunira considérablement. La génération actuelle des "fermiers de production" sera à la retraite, remplacée par une génération de nouveaux fermiers et de fermiers de seconde carrière, concentrant sur l'alimentation, la santé et le style de vie. Les systèmes de mise en marché évolueront pour baisser la barrière de l'investissement en capital, ouvrir la base aux petits fermiers, permettre le marketing direct, diversifier et distribuer la production sur des fermes mixtes à l'échelle familiale. Les organismes de crédit agricole faciliteront le démarrage de fermes, les superficies réduites, l'industrie agro-alimentaire locale et les co-opératives agricoles.
Je vois les fermiers doubler leur influence politique simplement en doublant leur nombre de 2% à 4% des électeurs. Je peux lire les titres dans ce journal de 2015: "l'Ontario enregistre son 100,000ième agriculteur!" Les fermiers seront aussi devenus plus politisés et assureront leur propre impact direct sur leurs amis urbains, grâce aux contacts personnels de la mise en marché directe.
Mais cela implique également une réduction de 50% de la grandeur moyenne d'une ferme. L'histoire aura absorbé la ferme industrielle exportatrice de ressources naturelles. La nouvelle génération agricole sera axée sur une main d'oeuvre accrue, faisant affaire directement avec les consommateurs, leur offrant des aliments biologiques, des récoltes de haute valeur, des produits frais, de la laine et des fibres, le traitement agro-alimentaire sur place et l'élevage en pâturage.
Nous pouvons penser qu'aujourd'hui l'agriculture en Ontario est saine, nutritive et écologique. Mais les consommateurs soucieux de leur santé et les gouvernements sensibles à leur budget ont une définition de la durabilité plus exigeante pour nos fermes, notre écologie et notre santé. Comme les budgets provinciaux pour les soins de santé dominent tous les autres ministères, nous entreprendrons un grand changement de paradigme vers une meilleure nutrition, une alimentation crue, moins de viande et plus de produits frais, et de la production et de la consommation locale.
De plus, nos fermes seront plus profitables par le biais du prix des aliments, et non à cause de subventions aux fermes, à l'énergie ou à l'industrie. La partie de notre revenu net allouée à l'alimentation augmentera de 10% à 15%, avec une réduction correspondante de taxes suite à une diminution des subventions, des infrastructures de transport et des coûts des soins de santé. Nous aurons redécouvert la culture de l'agriculture, la fierté d'être à la ferme et la valeur écologique de la préservation de l'environnement.
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